WINTZENHEIM - RUE CLEMENCEAU

Souvenirs du 96 rue Clemenceau à Wintzenheim


Le 96 rue Clemenceau (actuellement rue du Galz) par Mario Ossola

Autant que le souvenir puisse me porter avec les imperfections sur les lieux et les personnes, je vais évoquer l’histoire de mon quartier, celui qui m’a vu grandir, où j’ai noué mes premières amitiés, et qui aujourd’hui fait saigner ma mémoire.

Cette propriété était une ancienne filature désaffectée que mes camarades du village appelaient le Wewerhoft ou la cour au tissage. Au sortir de la deuxième guerre mondiale, mon parrain, frère de ma grand-mère, en a fait l’acquisition. Cet ensemble allait de la rue Clemenceau jusqu’au petit ruisseau à l’arrière, aujourd’hui rue de la Chapelle. Mon parrain, Jean Gamberoni, était entrepreneur de constructions et entendait développer son entreprise dont le siège était à Logelbach, 40 rue de Munster.

Il commença par y loger la famille de sa sœur Maria, c'est à dire mes grands-parents. Ceux-ci avaient deux enfants, Raymond (mon père) et Bruno. Dans cette usine désaffectée, il leur attribua la jouissance d’un logement qui devait être celui de l’ancien gardien. Il s’agissait de trois pièces donnant sur le sud, sans vraiment de confort, mais qui ravissaient ma grand-mère Maria, épouse de Mario Ossola. Elle profitait également d’une grange où était stocké le bois qui servait à chauffer la cuisine où on se tenait et où se trouvait le seul point d’eau. Elle devait rapidement y ajouter un poulailler qui a ravi mon enfance. Mais son plus grand bonheur était ce jardin qui donnait sur la rue Clemenceau et dans lequel se trouvait une petite gloriette où mon grand-père pouvait se reposer aux beaux jours. Un grand if donnait sur la rue et la rigole où courait l’eau qui venait de la Chapelle et alimentait par une vanne un bassin qui permettait d’arroser ce grand jardin. Ce potager servait à produire tout ce dont la famille avait besoin l’année entière. Combien ma grand-mère était heureuse dans cet espace qui était le seul dont elle pouvait jouir pleinement après toutes ces années d’incertitude. Très rapidement, au fur et à mesure que ses fils s’installaient avec leurs familles respectives, elle attribuait à chacun une partie de ce grand jardin. Mon père, Raymond, à son retour de la guerre où il avait trouvé épouse, était installé dans une petite bâtisse située derrière l’usine alors que mon oncle Bruno, qui s'était marié au début des années 50, se contentait d'un minuscule logement situé à l’étage.

Voilà la situation telle que je m'en souviens. Sur la gauche de l'usine, mon parrain louait des dépendances pour un garage tenu par un certain Butterlin qui faisait de la réparation de quelques véhicules somme toute assez rares à l’époque. Presque personne ne possédait de voiture, les seuls moyens de locomotion étaient des vélos, puis petit à petit apparurent les premiers cyclomoteurs. Que tout cela était paisible dans cet espace dont nous étions vraiment seuls à disposer avant que l’évolution nous bouscule.

L’immédiat après-guerre aura connu une incroyable envie d’aller de l’avant pour améliorer la situation de toutes ces personnes qui sortaient d’une infinie misère et que le hasard avait conduites jusqu’ici. Et c’est là que Jean Gamberoni, chef d’entreprise doté d’une exceptionnelle énergie, a développé son entreprise mais, et avec le recul j’en suis aujourd’hui persuadé, toujours avec le souci de permettre à son entourage et à ses ouvriers d’avoir un minimum de confort. Lorsqu’il recrutait un employé, il avait le souci de lui trouver, en fonction de sa situation de famille, le logement qui pouvait lui convenir. Jusqu’à son décès à 83 ans, il n'a jamais cessé d’avoir cette attitude, même si l’environnement avait évolué et ne correspondait plus à cet esprit paternaliste qui le caractérisait. Il était respecté, même par sa sœur et ses deux enfants qui travaillaient chez leur oncle Jean Gamberoni.

Ces quelques mots étaient indispensables pour situer le personnage qui allait transformer ce quartier où il allait loger tous ses ouvriers et employés de son entreprise : maçons, menuisiers, employé de bureau…. Mais il y avait également des personnes étrangères à l'entreprise, parfois d’origine italienne mais pas toujours. N’y a-t-on pas vu des familles Schlosser, Leblanc, etc… Son ambition était de construire dans cette propriété des immeubles dotés d'un bon confort pour l’époque, afin que les occupants puissent profiter d'un logement avec cave et jardin pour certains, ce qui était plus qu’appréciable, à telle enseigne que les habitants du village constatèrent que ce quartier était en avance par rapport à leurs habitations anciennes.

Aussi, dès les années 1948-50, il construisit, avec les moyens dont il disposait, un premier bâtiment de six logements (actuellement 8 rue du Galz) doté de salles de bains qui faisaient la fierté de tous. Dans cet immeuble étaient logés ces ouvriers qui arrivaient d’Italie où le travail faisait défaut. Ils venaient de la région de Varese d’où il était lui-même originaire. C’est le cas de la famille Binda qui a été l’une des familles qui a occupé le plus longtemps ce quartier. Leur fils Dario a été mon premier ami d’enfance. Et même si nos chemins se sont séparés, il restera mon premier vrai copain qui aura évolué comme moi dans ce microcosme qui a fini par nous identifier dans le village : le quartier des italiens. Y était aussi logée la famille Baranzelli dont les parents ont également fini leur vie dans ce quartier.

A l’arrière du logement de ma grand-mère, dans le corps de l’ancienne usine, Jean Gamberoni avait installé la scierie de son entreprise. Y travaillaient deux menuisiers, Sbrizzi et Cividino qui furent les complices de mes jeux d’enfants. Il y avait tellement de chutes de bois qui devenaient autant de jouets potentiels alors que les vrais jouets étaient rares. Ils avaient pour moi et d'autres enfants une attention qui, avec le recul, me touche encore. C’étaient des collègues de mon père qui était maçon dans la même entreprise. Chacun avait son travail, respectait son patron et appréciait l'entreprise qui leur permettait de vivre. Les stocks de bois entassés dans la cour ont constitué longtemps des refuges pour nos jeux d’enfants, jusqu'à ce que tout cela ne prenne fin, qu’on démolisse cette vieille usine, le hangar de mes grands-parents, pour y construire à la place… des garages. La voiture avait fait son apparition et presque tous les foyers avaient pu en faire l’acquisition.

Lancé sur son projet d’aménagement, Jean Gamberoni construisit en 1952 un second immeuble de six logements (10 rue du Galz), où mes parents furent logés dans un magnifique appartement de quatre pièces cuisine salle de bains, avec cave, grenier et garage. Ils étaient ravis, et surtout ma mère qui sortait de l’inconfort de son petit logement exigu. Dans cet immeuble emménagèrent également d’autres employés, tels que Mario Barassi, excellent maçon, Oreste Bricola, employé de bureau et neveu de Gamberoni par son épouse. Ces familles sont restées dans ces logements souvent jusqu’à la fin de leur vie, pour dire combien les améliorations apportées au fil des ans ont pu satisfaire leurs occupants et attester ainsi de la qualité des logements construits. L’augmentation de la population du quartier imposa une modification de l’accès par la rue Clemenceau. Aussi a-t-il été décidé d’aménager la rue du Galz qui aboutissait à condamner une partie du jardin de ma grand-mère, à son grand désespoir. Elle voyait disparaître une bande de huit mètres environ le long de la limite de la propriété de Mademoiselle Andrès et voyait ainsi disparaître la gloriette où se reposait son mari, entre temps décédé. Mais l’if était rescapé et cet arbre devait perdurer longtemps encore.

Deux ans plus tard fut édifié un troisième immeuble de six logements (12 rue du Galz), toujours construit sur le même schéma et offrant des appartements d’un grand confort pour leur époque. Comment ne pas reconnaître la qualité de ce chef d'entreprise qui restait fidèle à son idée. Comment ne pas rendre hommage à ce cheminement progressif. Un promoteur de nos jours aurait construit tout d’un coup. Jean Gamberoni avançait en fonction de ses moyens. Lentement mais sûrement. Dans ce nouveau bâtiment logeait un de ses meilleurs ouvriers, Angèle Barassi, frère du premier et qui restera lui aussi dans son logement jusqu'à la fin de ses jours. Mais c’est à cette époque qu'arriva une nouvelle catégorie de locataires qui n’étaient pas d'origine italienne, comme par exemple la famille Schellkopf, mais dont l’assimilation s’est faite sans le moindre problème. Les enfants que nous étions avaient l'habitude de jouer ensemble, garçons et filles, sans violence et sans jamais tenir compte de l'origine ni de l'âge des uns ou des autres. Des jeux sans fin jusqu’à l’heure du repas où nos mamans penchées à leur balcon nous appelaient à table.

Puis fût construit le quatrième immeuble (14 rue du Galz) qui combla le dernier espace dont disposait mon parrain Jean Gamberoni jusqu’à la limite nord de sa propriété, là où courait le petit ruisseau appelé Waschbàch qui alimentait le lavoir situé derrière le cimetière israélite. C’est là aussi que nous retrouvions les enfants des propriétés voisines, tels que Liliane, la fille du facteur Grentzinger, le fils Comolli, tous ces enfants que je retrouvais par la suite dans mes activités professionnelles avec l’émotion qu’on peut imaginer. Il m’est aujourd’hui impossible d’évoquer ces souvenirs sans une véritable nostalgie quand on imagine les destins de tous ces enfants qui jouaient innocemment ensemble. Ce quatrième immeuble ressemblait à s'y méprendre aux trois précédents. L’arrivée d’ouvriers italiens se tarissait. Aussi fut-il occupé par des locataires étrangers à l’entreprise. Le quartier connut alors une transformation, parce que les nouveaux arrivants finirent par faire disparaître cette touche italienne qui était la sienne. Sont arrivés les familles Groelly, Neff, Tornare… et autres encore, attirées par le confort des logements proposés. Jean Gamberoni avait réalisé l'ensemble de son grand projet.

J’ai longtemps espéré qu’étant de sa descendance, je puisse avoir hérité de cette opiniâtreté qui a caractérisé son action, avec cette volonté de progresser tout en faisant profiter son entourage de meilleures conditions de vie qu’il a favorisées autour de lui. Dans ses vieux jours, ma grand-mère a dû se résigner à quitter son logement pour occuper un appartement au numéro 8 de la rue du Galz. Elle abandonnait aussi son jardin que son frère utilisa pour la construction d’un immeuble d’un esprit totalement différent, la "Résidence Athénée", comprenant 26 appartements voués à la copropriété (2-4-6 rue du Galz). Après le décès de Mademoiselle Andrès, un promoteur prit possession de sa vaste propriété contiguë à la rue du Galz pour y construire à une cadence bien plus élevée, une nouvelle série d'immeubles qui sans l’œuvre de Gamberoni n’existeraient pas.

Voici brossé, sommairement, l’histoire de ce quartier du 96 rue Clémenceau qui a été longtemps notre adresse avant de devenir rue du Galz. Ce développement ouvre une toute autre dimension dans mon esprit : celle de la vie dans ce quartier, les relations, les sympathies, les conflits, les joies et les peines, mais nous étions tous conscients de nos origines et le détail de cette vie nécessiterait un nouveau récit.

Mario Ossola, décembre 2019

Wintzenheim 

Plan du quartier "96 rue Clemenceau". Dessin original de Mario Ossola, colorisé par Guy Frank. En jaune, la résidence "Athénée".
Voir le dessin original de Mario Ossola

Wintzenheim

Vue aérienne Combier vers 1957 (Photothèque SHW 873). Cliquer sur la photo pour voir le ZOOM annoté.

Wintzenheim

Vue aérienne Ernest Ehrhart vers 1959 (Archives Société d'Histoire). Cliquer sur la photo pour voir le ZOOM annoté. 

Wintzenheim

Vue aérienne Combier vers 1960 (Photothèque SHW 874). Cliquer sur la photo pour voir le ZOOM annoté.


Wintzenheim 2013 : Colmar Habitat inaugure 34 logements

L’ensemble de huit bâtiments d’habitation édifiés rue du Galtz à Wintzenheim a été inauguré en présence des élus et des locataires : 4 collectifs représentant 30 logements et 4 pavillons individuels.

Wintzenheim

Colmar-Habitat inaugure 34 logements à Wintzenheim, collectifs à droite, pavillons à gauche (photo Sven Bachert)

Les quatre collectifs "Gamberoni" de six logements chacun, situés aux n° 8, 10, 12 et 14, de la rue du Galtz à Wintzenheim, ont été construits après 1948. Colmar Habitat a racheté les immeubles occupés en 2007 et vient de les rénover. Six logements ont été créés en outre dans les combles des trois plus grands collectifs qui abritaient depuis l’origine des logements spacieux d’une surface habitable de 106 m².

La municipalité de Wintzenheim et Colmar Habitat ont convenu de ne pas densifier le projet. Et plutôt que construire de nouveaux collectifs, le choix s'est porté sur quatre pavillons individuels à ossature bois édifiés à l’arrière du site. Ces quatre pavillons disposent de cinq pièces pour une surface habitable de 98 m². Cinq garages extérieurs s’ajoutent aux dix garages en sous-sol, et 33 places de stationnement privatisées sont proposées dans la cour.

Source : L'ALSACE du 17 juillet 2013


Image Satellite

Wintzenheim

Les 4 pavillons individuels inaugurés par Colmar-Habitat en 2013 se trouvent à l'arrière (à droite) des collectifs Gamberini.
Les 3 immeubles à gauche de la rue du Galz (numérotés en blanc) ont été construits par le promoteur colmarien Emilio Martini.


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